J’écris les mots me « libérer du poids de ta bouche » et je pleure.
Je pleure à en trembler de ne plus en pouvoir que tu me veuilles, me réclames, me demandes, m’insistes, me brailles, me hurles.
Tu n’as rien fait, toi.
Que naître, vivre et boire et vouloir boire et aimer boire ta mère.
Et je me suis donnée, offerte pour toi. Pour toi et les autres avant toi et j’aurais fait pareil pour ceux qui ne viendront plus.
Car c’était ce que mon corps dansait: il roulait, se cambrait, s’allongeait et coulait pour toi.
Enfant doux, tu n’as eu qu’à lever le menton et mon corps dansait la plus vieille danse du monde, celle que danse les mères depuis le premier enfant né.
La danse de nos seins, la danse nourricière, la danse qui coule dans la bouche et qui roule sur les joues. Cette danse qui t’a fait devenir rond et gras et si beau que je te mangerais tout cru.
Et tu as grandi et j’ai continué de danser pour toi. Tu m’applaudissais: « Encore! Encore maman! N’arrête pas! N’arrête jamais! »
Tu as presque trois ans, Albert.
Ton père est à ton chevet, il essaie d’apaiser ton petit corps crispé, ton petit visage tordu de rage: tu veux boire ta mère.
Mais je n’ai pas envie de danser cette danse ce soir.
Et c’est terrible, mon amour. Car le son de mon lait qui t’emplit est si doux. Peu de choses en ce monde et aussi doux pour moi que ce bruit.
Mais je n’en peux plus. Je ne veux plus danser. Je ne veux plus que ta petite main cherche l’ourlet de mon chandail pour monter sur mon ventre jusqu’à trouver un sein. Et lorsque tu le trouves, toujours tu t’esclaffes du plus joli rire qu’il m’ait été donné d’entendre. Tu es aux anges. Tu n’as ni peluche ni doudous ni suce ni rien. Tu as ta mère et ses seins et c’est tout ce que tu demandes.
Et moi, mon amour, je m’apprête à te les refuser.
Je sais aussi ce qu’en pensent les autres, je le vois dans leurs yeux et je sais les lire: « c’est bien assez! »
Mais d’eux, on s’en fout, mon amour. Ce qui compte, c’est nous.
On ne bâtit pas un amour lacté grand comme le nôtre pour le faire taire en boutonnant notre chemise à tout jamais. C’est impossible.
Depuis quelques temps maintenant, je danse moins. Parfois, cela te rend vraiment triste.
Je sais mon grand, je sais. Ce sein, ce lait t’apaisent et savent te glisser dans les bras de Morphée comme quiconque.
Mais je chante aussi! Écoute… Ah… oui, une fois la colère et la tristesse passées, tu peux entendre ma voix, n’est-ce pas?
Et moi je découvre ton petit nez sous un autre angle et j’aime tant ne pas avoir à te reprendre sournoisement mon sein pour quitter le lit.
Je ne sais pas quand exactement, mais bientôt. Ce sera terminé pour toujours.
Je ne danserai plus jamais cette danse d’amour et de partage que je connais si bien.
Je rangerai mes petits chaussons.
Et je pleurerai de grands sanglots qui secouent tout en soi.
Car ce geste, cette danse, cet amour furent si doux.
Oh, ont-ils su m’emplir de fierté et de confiance. Ils m’ont donné une confiance immuable en mon corps, en la vie, en mes instincts de femme et de mère.
Je n’aurais pu rêver d’un plus merveilleux chapitre pour clore cette si grande histoire. Toi, Albert, mon doux Albert.
Tu es la lumière de ma vie et je sais que nous pleurerons ce deuil encore. Mais puisque c’est ensemble, mon amour… Ça ira.
Nous apprendrons une autre magnifique danse. Je dépose tout de même mes chaussons dans ton coffre à souvenirs. Je les chérirai à jamais.
Je t’aime mon bébé de lait. Je t’aime si fort. Probablement plus que tu ne le sauras jamais.
Maman
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